Les années passent et les problèmes de logement s’accumulent et s’aggravent.

Depuis 1977 et la loi n° 77-1 du 3 janvier réformant le financement du logement pour « favoriser la satisfaction des besoins en logements« , puis 1982, avec les Lois de décentralisation confiant aux communes la responsabilité de la planification urbaine et du logement social, les politiques du logement successives ont toujours affiché de grandes ambitions, mais se sont fracassées contre les contraintes budgétaires et financières.

Progressivement, l’État se désengage. Si l’on en juge de la production nationale de logements sociaux, alors que 126.000 logements sociaux étaient encore financés en 2016, ils ne sont plus que 95.000 en 2021, à peine davantage en 2022 autour de 96.000. Ils chutent à 85.000 en 2023, malgré la programmation de 110.000 logements et seront probablement à 80.000 d’ici la fin de l’année. La Banque des Territoires prévoit même une production ramenée à 77.000 jusqu’en 2029, puis à 60.000 par an à partir de 2030 (Le Moniteur 21/09/2023).

Le parc social ne répond donc pas – et de loin – aux besoins. Près de 2,5 millions de ménages attendent un logement social et plus d’ 1,6 million une première attribution. Face aux 400.000 logements délivrés chaque année par les bailleurs sociaux, le compte n’y est pas. En trois ans, les délais d’attente ont de fait progressé, de 20 % à plus de 30 % selon les régions.

Le logement : un droit fondamental

Découlant de la rédaction des 10e et 11e alinéas du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, ce droit s’inscrit dans les textes à valeur constitutionnelle :

« 10. La Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement.

11. Elle garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence. »

Depuis cette déclaration constitutionnelle de 1946, plusieurs lois ou décisions ont apporté quelques précisions supplémentaires :

  • « Le droit à l’habitat est un droit fondamental », loi Quilliot du 22 juin 1982,
  • « Le droit au logement est un droit fondamental ; il s’exerce dans le cadre des lois qui le régissent. L’exercice de ce droit implique la liberté de choix pour toute personne de son mode d’habitation grâce au maintien et au développement d’un secteur locatif et d’un secteur d’accession à la propriété ouverts à toutes les catégories sociales. Aucune personne ne peut se voir refuser la location d’un logement pour un motif discriminatoire défini à l’article 225-1 du code pénal. » Loi Mermaz du 6 juillet 1989,
  • « Art. 1er. – Garantir le droit au logement constitue un devoir de solidarité pour l’ensemble de la nation. Toute personne ou famille éprouvant des difficultés particulières, en raison notamment de l’inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d’existence, a droit à une aide de la collectivité, dans les conditions fixées par la présente loi, pour accéder à un logement décent et indépendant ou s’y maintenir. » Loi Besson du 31 mai 1990.
  • « la possibilité de disposer d’un logement décent est un objectif à valeur constitutionnelle ». Conseil Constitutionnel, décision du 19 janvier 1995.

Une crise de la construction accélérée par le net ralentissement de l’activité pendant et depuis la pandémie de Covid :

D’une part, les confinements ont stoppé une partie des chantiers en cours ou programmés et, d’autre part, les premières contaminations par l’épidémie de Covid-19 ont affecté une partie des salariés du secteur du bâtiment, contraints de se déclarer en arrêts maladies prolongés. Par ailleurs, face au ralentissement d’une activité presque stoppée, les entreprises ont réduit, voire gelé leurs recrutements et préconisé, à la demande des pouvoirs publics, le télétravail. Or, à l’évidence, il est difficile de poursuivre des chantiers de construction en distanciel …

Autre incidence : les administrations, dont certaines ont fermé leurs portes, ont reporté les instructions des demandes de permis de construire, les autorisations de voiries, etc. …

Après confinement, malgré la forte reprise de l’activité générale, de nombreuses difficultés ont entravé la relance du secteur du BTP : des difficultés de recrutement, donc de main-d’œuvre, des pénuries sur les matériaux de construction, une hausse du coût de l’énergie, un embouteillage maritime des commandes en provenance de Chine conjugué à une explosion du coût du transport maritime, considérablement accélérées par le déclenchement de l’invasion russe en Ukraine.

L’envol du prix des matériaux, l’accumulation des délais d’approvisionnement, l’évolution des taux de crédit pour le logement social, que ce soit d’ailleurs pour les promoteurs comme pour les particuliers, ont accéléré la crise, dégradé la masse salariale et provoqué la disparition d’une partie des emplois, contribuant à une perte de compétences et à la disparition d’emplois locaux …

Les salariés percutés par la crise du logement …

Face au coût élevé des loyers, auxquels il convient d’ajouter les charges annexes : électricité, gaz, chauffage, assurances, … de nombreuses personnes, disposant pourtant d’un revenu fixe mais trop proche du SMIC, ne parviennent plus à se loger correctement, ni même, pour certaines d’entre elles, tout simplement à se loger.

Parallèlement, l’offre locative a chuté de 59 % : outre les constructions à l’arrêt évoquées précédemment et la pénurie de biens, les logements considérés comme des « passoires thermiques », qui ne sont plus autorisés à la location sans rénovation énergétique, ont été retirés du marché et alimentent la crise. Et cela pourrait durer un peu de temps, dans la mesure où un certain nombre de propriétaires hésitent à engager des travaux, dans une conjoncture aussi incertaine, alors que le prix des matériaux de construction a considérablement augmenté et que le retour sur investissements n’est pas assuré : augmenter le loyer dans une période où les locataires rencontrent déjà des difficultés financières n’est sans doute pas la démarche la plus judicieuse …

En 20 ans, le nombre de personnes en situation de pauvreté (données 2024 : en-deçà de 1.216€ par mois pour une personne seule) a progressé de 1,5 million, s’établissant à plus de 9 millions et représentant 14,5 % des Français. Par ailleurs, selon une estimation de 2023, 330.000 personnes se retrouvent sans domicile fixe, chiffre en constante évolution.

Plus de 15 millions de personnes subissent directement la crise du logement. La part du budget qu’ils y consacrent est de plus en plus lourde ; elle représentait 9,5 % en 1960, elle en est aujourd’hui à 23 %, en moyenne, soit 2 fois plus que la part consacrée à l’alimentaire (13,5%). Et pour les plus modestes, cette dépense représente même 32 % de leur budget.

En 10 ans (2010-2020), les prix de l’immobilier ont augmenté de plus de 125 % et les prix locatifs – quel que soit le secteur, social ou libre – de 36,5 %.  

Parallèlement, sur la même période, le revenu brut des ménages n’a progressé que de 29 % !

Dans ce contexte, les privations sur un certain nombre de postes se multiplient : 1 français sur 10 n’a pas les moyens de manger un repas contenant des protéines au moins une fois tous les deux jours, plus d’1 sur 10 vit dans un foyer qui peine à se chauffer correctement (deux fois plus en 10 ans), 7% des foyers n’arrivent pas à payer à temps leurs factures de gaz ou d’électricité, 1 français sur 4 n’est pas en mesure de prendre une semaine de congés hors de son domicile au moins une fois dans l’année ; une précarité qui concerne, davantage encore, les familles nombreuses et monoparentales. L’Insee révèle que 30% de ces familles sont lourdement impactées par des difficultés financières.

… particulièrement en Île-de-France …

Le rapport entre salaire net et loyer est évalué de la manière suivante :

  • pour un salaire de 1.800€, le loyer s’établira autour de 600€/mois,
  • pour un salaire de 2.000€, le loyer ne peut excéder 700€/mois,
  • pour un salaire de 2.500€, le loyer tournera autour de 800€/mois,
  • pour un salaire de 3.000€, le loyer ne dépassera pas 1.000€/mois.

On comprend vite que, dans l’agglomération parisienne et une partie de la région d’Île-de-France où le loyer d’un studio est proposé dans une fourchette allant de 1.000 à 3.000€ pour une surface d’environ 25m², selon les quartiers, certains ménages ne parviennent tout simplement pas à accéder à un logement décent. La multiplication de situations d’extrême précarité se traduit par la multiplication de cas de mal-logement …

Ne parlons même pas des salariés à temps partiel, qui sont tout simplement exclus du parc locatif !

Et ce sont les plus jeunes qui paient le plus lourd tribut : 21% d’entre eux n’ont pas accès à un logement, faute d’emploi, 25% des jeunes renoncent aux dépenses de première nécessité pour payer leur loyer et 15% des jeunes se sont retrouvés à un moment de leur vie sans logement, logés dans un squat ou ont plongé dans une grande précarité. L’impossibilité, pour une partie d’entre eux qui travaillent (les moins de 25 ans), de bénéficier des minima sociaux, les aides au logement en baisse constante, les aides ponctuelles très insuffisantes, ne parviennent plus à jouer un rôle d’amortisseur de crise, aggravent leur pauvreté et handicapent sérieusement leur accès à l’autonomie.

Action Logement : l’acteur social incontournable …

Le 9 août 1953, un décret instaurait un dispositif baptisé « 1% Logement », une institution professionnelle paritaire dédiée au financement du logement pour les salariés, intégré dans la participation des employeurs à l’effort de construction (PEEC), dont l’objectif était de mieux loger les salariés. La France sortait alors de la guerre et les familles les plus défavorisées logeaient dans des bidonvilles, souvent à la périphérie des villes. Il s’agissait donc de construire, dans l’urgence, de nombreux parcs d’habitations à loyer modéré (HLM), les fameuses « barres », avec des appartements disposant d’un vrai confort, de sanitaires et d’espaces extérieurs de jeux pour les enfants. Des centaines de milliers de logements virent le jour sur l’ensemble du territoire, conduisant à la disparition, au début des années 1970, des derniers bidonvilles encore existants. Mais, avec le renforcement de l’appel à une main d’œuvre étrangère pour travailler principalement dans l’industrie et le regroupement familial (autorisé par le gouvernement sous plusieurs conditions, décision actée par le décret du 29 avril 1976, signé par le Premier ministre Jacques Chirac et le ministre du Travail Michel Durafour) et malgré la « fin à l’immigration pour motif économique » en juillet 1974, renforcée par des mesures plus contraignantes du gouvernement Barre, la pression sur le logement social s’intensifie.

Le dispositif du 1% Logement tente d’aider au mieux les familles les plus en difficulté à accéder à ces logements sociaux.

Après diverses évolutions structurelles au cours des dernières décennies, l’instance deviendra « Action Logement » en 2009, disposant d’un patrimoine de plus d’un million de logements sociaux et intermédiaires.

En juin 2023, Action Logement, en présence des partenaires sociaux, signe avec l’État une nouvelle convention quinquennale couvrant la période 2023-2027, prévoyant la mobilisation de 14,4 Mds€, dont 5,5 Mds€ destinés au financement des bailleurs pour la construction et la réhabilitation énergétique de logements, 3,7 Mds€ pour accompagner les salariés dans leur parcours résidentiel, en lien avec l’emploi et enfin, 5,25 Mds€ fléchés vers l’investissement dans les politiques publiques du logement, notamment la rénovation urbaine (NPNRU) et « Action Cœur de Ville ».

Action Logement Services a ainsi accompagné, en 2023, 750.000 salariés dans leur parcours résidentiel.

L’organisme aide les salariés soit à louer un logement, soit à devenir propriétaires, en proposant des prêts, des subventions ou des services, par exemple en termes de mobilité.

Pour illustration, grâce la « Garantie Visale », Action Logement se porte garant contre les loyers impayés et les dégradations locatives. Plus de 280.000 salariés ont ainsi bénéficié de ce service en 2022, alors que, dans le même temps, environ 16.600 prêts d’accession à la propriété ont été accordés.

En 2023, Action Logement a aussi racheté 30.000 logements neufs aux promoteurs, afin de limiter les effets de la crise dans laquelle ils se trouvent, en partie liée au coût de la construction et à l’évolution des taux d’intérêt et des conditions de garanties pour l’emprunteur. De nombreux programmes ont été abandonnés et l’incapacité à trouver des acquéreurs a entraîné de graves déséquilibres dans leurs trésoreries.

Mais tout ceci reste insuffisant pour répondre aux besoins, d’autant que la rotation des logements ré-attribuables diminue fortement, face à l’impossibilité des locataires de trouver, sur le marché du circuit traditionnel, des offres de logements en nombre suffisant, à des tarifs abordables et pas trop éloignés des lieux d’activité professionnelle.

… dont les ressources diminuent au fil des années …

Car depuis 1992, le taux de la PEEC n’est plus du tout de 1 % de la masse salariale : il a baissé de plus de la moitié et s’établit désormais à 0,45 %. La loi Pacte, adoptée en 2019, a, par ailleurs, modifié l’assiette du seuil de cotisation pour les entreprises du secteur privé, le passant de 20 à 50 salariés.

Quant à l’État, à court d’argent, il se sert copieusement dans les caisses de l’organisme : 500 M€ en 2020, 300 M€ en 2023, sans aucune compensation, réduisant d’autant ses capacités d’action.

La nouvelle convention quinquennale 2023-2027 de juin 2023, évoquée plus haut, permettra finalement de dégager un budget de 14,5 Mds€ pour Action Logement, quelques semaines après de nombreuses tergiversations sur le statut même de la structure.

Le SGTCF constitue un groupe de travail sur ce sujet :

Face aux remontées désormais régulières et de plus en plus insistantes des salariés et de nos adhérents auprès de notre syndicat, le SGTCF a décidé de se saisir directement de ce dossier, de tenter de répondre à la détresse de bon nombre d’entre eux, car, aujourd’hui, travailler et disposer d’un salaire ne permet plus d’accéder à un logement décent, d’autant plus pour les familles dites monoparentales pour lesquelles un seul revenu, même assorti d’aides sociales, est nettement insuffisant pour pouvoir se loger dignement en Île-de-France (ne parlons même pas de Paris intra-muros !).

Plusieurs axes de réflexion, non exhaustifs, peuvent ainsi nourrir notre réflexion :

  • un rééquilibrage de l’offre de construction, en fonction du périmètre géographique et des bassins d’emplois. Les besoins de logements dans la Creuse, pour reprendre une comparaison habituelle, ne sont évidemment pas identiques à ceux de l’Île-de-France, mais une offre trop abondante dans des secteurs d’activité sinistrés posent aussi problèmes, faute de candidats,
  • dans un climat de réduction des déficits et de dérive budgétaire, une affectation de ressources assurée dans la durée en faveur du logement social,
  • faire davantage évoluer le montant des loyers du parc HLM en fonction des ressources de leurs occupants,
  • revaloriser l’aide au logement,
  • contrôler et taxer plus fortement les appartements des grandes métropoles proposés en « airbnb »,
  • faciliter la mobilité des personnes en situation de handicap,
  • inciter les régions à mieux aménager leurs territoires et renforcer leur offres de transport combinés,
  • garantir l’accès au secteur locatif privé pour les jeunes,
  • renforcer le financement de la nécessaire rénovation thermique des logements, dans le respect des objectifs de décarbonation fixés par l’Europe et les pouvoirs publics (loi Climat et résilience de 2021),
  • revaloriser le loyer de solidarité (RLS), constamment réduit depuis 2018,
  • imposer aux élus locaux le respect de la loi SRU de 2020 en alourdissant significativement les pénalités pour les villes ou métropoles qui refusent de construire ou de proposer en nombre suffisant des logements à loyer modéré (sur la période 2020/2022, 64 % des communes tenues de combler leur déficit de logements sociaux n’ont pas atteint leur objectif légal de production, ce qui représente une hausse de près de 20 points par rapport aux 3 années précédentes),

Il conviendra évidemment de réunir tous les acteurs locaux, au fil de nos travaux, pour étayer nos arguments et les porter ensuite en revendications auprès des instances régionales.

Gabriel Attal, premier ministre, s’adressait au Parlement, le 9 janvier dernier, en appelant à « un choc d’offres pour répondre à la crise du logement et déverrouiller le secteur », pour éviter le risque de « bombe sociale » évoqué, six mois auparavant, par le ministre du Logement du gouvernement Borne.

La difficulté de se loger à des prix raisonnables dans les grandes agglomérations est devenue un frein à l’emploi. Dans près d’une TPE-PME sur cinq (19 %), les recrutements deviennent compliqués en raison des difficultés des candidats à se loger, soit plus du double par rapport à l’année précédente.

En Île-de-France, le délai d’attente pour accéder à un logement social est d’au moins dix ans, deux fois plus qu’en 2014, soit plus de 780.000.

Il est temps de se pencher sérieusement et collectivement sur ce dossier et d’inciter les élus de la région IDF, mais aussi les entreprises de ce périmètre à multiplier les initiatives pour faciliter l’emploi et combler le manque de candidats dans de nombreux secteurs, y compris celui des transports. L’exemple du récent accord sur la mise en place d’un parcours salarié-logé signé par la RATP (objectif d’un seuil de 1.100 familles logées en 2024) démontre que la voie du dialogue, avec des résultats concrets à la clef, est possible.

Le SGTCF est disposé à y prendre sa part.