En agitant, de manière inconsidérée, la menace d’énormes surtaxes généralisées sur le commerce mondial, le président américain Donald Trump a fortement – et brutalement fragilisé le modèle de mondialisation qui repose, depuis les années 1970, sur l’évolution des transports, de la communication et de la circulation de l’information.

La mondialisation en question …

Il s’agit d’une troisième attaque récente contre ce système, après l’impact lié à la pandémie de Covid-19, puis au déclenchement du conflit russo-ukrainien.

Certes, les protestations contre les effets de la mondialisation ne datent pas de l’élection du candidat républicain fin 2024. Ainsi, le cycle de Doha, à l’initiative de l’Organisation Mondiale du Commerce, lancé en 2001 au Qatar, dont l’objectif visait à libéraliser l’économie et faciliter l’ensemble des échanges au niveau mondial, avait déjà mis en évidence une coopération inter-étatique défaillante et une tendance à la baisse du commerce international, pour finalement se conclure par un échec des négociations, au terme de la conférence de Cancún de 2003.

Plus récemment, la pandémie de Covid-19 (avec la pénurie de masques de protection et de médicaments, comme le Doliprane, par exemple) et la guerre en Ukraine (avec l’impact de la baisse de production de blé, de tournesol et de maïs dans le monde) ont souligné les excès de dépendance à l’égard de certains pays sur les processus de production. Cette prise de conscience a ainsi conduit les principales nations occidentales à souhaiter rapatrier un certain nombre d’activités jugées stratégiques sur leur territoire, mais ce processus de réindustrialisation ne peut se construire que sur du long terme.

Un enchaînement de sanctions réciproques …

Par ses revirements et gesticulations successifs, suspectés par ailleurs de délits d’initiés boursiers, Trump a finalement imposé, à ce stade, une augmentation de droits de douane générale de 10%, de surtaxes de 25% sur l’acier, l’aluminium et les véhicules, parvenant à ce tour de force de l’infliger au grand soulagement du monde entier, alors qu’un certain nombre de pays se voyaient menacés de taux entre deux à dix fois plus élevés.

En revanche – et c’était sans doute l’objectif final recherché par l’administration américaine, l’enchaînement des sanctions entre les Etats-Unis et la Chine a rendu quasi nuls les échanges commerciaux directs entre ces deux pays.

Pour autant, le principe de la mondialisation, c’est-à-dire les flux transfrontaliers de produits, de services, d’idées et de personnes, processus historique, pluriséculaire, d’interconnexion des sociétés du monde entier, n’est sans doute pas remis en cause.

Une réorganisation des flux commerciaux mondiaux …

Paradoxalement, cette grave crise commerciale conduit à un basculement accéléré de la mondialisation vers la Chine, qui ne s’attendait sans doute pas à bénéficier d’une telle aubaine. Car la sphère commerciale asiatique est bien plus influente que celle de la zone atlantique et devrait, de fait, bénéficier d’une progression significative de ses flux.

Il serait en effet illusoire d’imaginer que l’activité commerciale chinoise sera fortement impactée par ces taxes douanières américaines, même si le marché américain représente près de 440 milliards $ d’exportation de biens et si les pertes de débouchés à venir pourraient représenter près de 2,7% de son PIB.

D’une part, parce que la Chine, depuis les réformes économiques lancées dans les années 1980 par Deng Xiaoping, qui lui ont permis d’engager une industrialisation spectaculaire, passant d’une économie principalement agricole à une économie fortement orientée vers l’industrie, est aujourd’hui un leader incontournable à l’échelle mondiale pour les décennies à venir, que ce soient pour la fabrication de produits électroniques, de machines, de textiles, ou, dans des domaines tels que la sidérurgie ou la production de ciment.

Elle tient aussi sa compétitivité de ses investissements massifs dans les infrastructures, d’une main-d’œuvre considérable, qui reste très abordable malgré la hausse des coûts du travail et une politique d’accès contrôlé aux entreprises étrangères, attirées par un énorme marché de près d’un milliard et demi d’habitants.

Leader industriel mais également leader dans des secteurs de haute technologie, dans des domaines comme la production de panneaux solaires, de véhicules électriques, de drones ou la 5G ou dans des secteurs stratégiques comme la biotechnologie, l’intelligence artificielle ou les robots industriels.

Le pays est aussi le plus grand producteur mondial de nombreux biens de consommation courante, tels que les smartphones, les vêtements, les jouets et les appareils électroniques.

D’autre part, parce que l’Empire du Milieu saura réorienter une grande partie de ses exportations surtaxées vers d’autres marchés, au prix, si besoin, de subventions supplémentaires. On a vu comment la Russie, après les sanctions décrétées par l’Union européenne en décembre 2022 sur l’exportation de pétrole brut et en février 2023 de produits pétroliers, est parvenue à réorganiser ses échanges commerciaux, en utilisant la Route maritime du Nord et en renforçant ses liens, par exemple, avec l’Inde, la Turquie et la Chine.

Enfin, parce que le Vietnam, qui a échappé à une taxe de 46% de ses exportations vers les Etats-Unis, ou le Cambodge, la Thaïlande, par exemple, peuvent produire pour le compte de la Chine, contournant ainsi les barrières douanières qui lui sont imposées.

Le continent européen occidental en point de mire …

Dans les prochains mois, les surplus de production de l’Empire céleste se dirigeront sans doute vers l’espace européen, qui devra veiller à protéger ses marchés. Car l’Inde, le Mexique ou l’Indonésie pourraient aussi être tentés d’intensifier leurs exportations vers l’Union européenne.

D’ores et déjà, le président Xi-Jing Ping propose de renforcer les liens commerciaux entre l’Europe et la Chine, lors d’une grande conférence en juin prochain.

L’impact de cette crise sur le transport de marchandises …

Le conflit au Moyen-Orient a démontré à quel point combien la logistique du commerce mondial pouvait être impactée par les évolutions géopolitiques.

Ainsi, les barrières commerciales géopolitiques transforment la façon dont nous commerçons au niveau mondial.

Nous avons précédemment rappelé les conséquences des sanctions décrétées par l’Union Européenne contre la fédération de Russie, suite à son agression militaire en Ukraine.

En 2021, l’Europe importait alors 46 % des exportations de pétrole brut russe. Pour contourner ces sanctions, la Russie en a réorienté une large partie vers d’autres marchés très demandeurs comme la Chine, l’Inde ou la Turquie, renforçant ainsi le trafic de marchandises le long de la Route maritime du Nord (NSR), qui borde la côte arctique russe du détroit de Kara Gate au détroit de Béring, plus directe entre l’Europe du Nord et l’Asie que par le canal de Suez.

Les transporteurs se sont toujours adaptés aux tensions géopolitiques, modifiant quelquefois leurs itinéraires pour protéger leurs cargaisons.

Autre exemple : après l’attaque du Hamas de 2023 contre Israël et la riposte de l’état hébreu par des bombardements de forte intensité sur la bande de Gaza, les Houthis, qui contrôlent le nord du Yémen, tentent, par solidarité avec les Palestiniens, de gêner le commerce maritime en Mer Rouge, en réaction aux opérations militaires israéliennes, en multipliant des attaques par missiles et drones contre les navires commerciaux. Plusieurs puissances occidentales constituent alors une coalition pour les combattre.

Devant les risques encourus, pour leurs cargaisons comme pour la vie de leurs marins, les transporteurs déroutent leurs navires par le cap de Bonne-Espérance. En n’utilisant plus le canal de Suez, par lequel transitaient 12 % du commerce mondial et 30 % du trafic de conteneurs, les transporteurs ont dû s’adapter, en multipliant le nombre de navires et de super conteneurs, ce qui a eu pour effet d’alourdir les coûts de transport.

Pour autant, pour les conteneurs de 40 pieds sur les sept grandes voies maritimes internationales, malgré des taux de fret maritime bien plus élevés, les volumes d’échange ont atteint des niveaux record en 2024 (multipliés par 2,5 par rapport à 2023).

Parallèlement, pendant des décennies, le commerce ferroviaire international, grâce au développement , à l’initiative de la Chine, de nombreuses connexions ferroviaires transfrontalières pour reconstituer la « route de la soie », s’est renforcé, permettant ainsi de compenser d’abord l’encombrement puis l’insuffisance du trafic maritime.

Il en est de même pour le transport routier de marchandises. Les années post-Covid lui ont très nettement profité, avant de subir le ralentissement mondial de l’activité.

Si, à l’avenir, l’activité Chine-Europe s’intensifie, il y a fort à parier que le transport routier en bénéficiera, tout autant que le secteur logistique, avec une multiplication de plateformes pour accueillir l’afflux des produits supplémentaires, ou le secteur maritime, avec le renforcement des activités des principaux ports français et européens.

L’économie mondiale est devenue trop interdépendante pour que le marché reste longtemps à la merci de déséquilibres plus ou moins provoqués ; quelles que soient les difficultés rencontrées, les systèmes de transport de marchandises à l’échelle mondiale continueront à s’adapter avec agilité aux contraintes politiques et économiques qui leur seront imposées.